Des voies et des arbres

Le premier arbre de l'allée?

Il est parti, dites, vers où...
Les autres arbres ? L'ont suivi
Sur double rang, à l'infini ;
Ils vont là-bas, sans perdre haleine,
A sa suite, de plaine en plaine...

Emile Verhaeren

Depuis toujours les arbres ont été célébrés à travers les forêts et les individus singuliers auxquels sont consacrés des monographies et même des élections dépassant les frontières....  Mais les arbres plantés le long des routes, architecture vivante du paysage, tunnels de verdure dont l'ambiance lumineuse change au gré des heures et des saisons, ont vu leur population décimée en un siècle sans qu'on en prenne conscience, l'incurie générale étant occultée par des controverses sur la sécurité routière au nom de laquelle la plupart ont été sacrifiés. Les chantiers autoroutiers se multiplient, on élargit les routes existantes, on rectifie les virages en faisant table rase des arbres qui les bordaient. Les alignements sauvegardés sont souvent affaiblis par des coupes mutilantes introduisant des agents pathogènes dont la présence est utilisée pour justifier de nouveaux abattages. La valeur patrimoniale des allées d’arbres est désormais prise en compte dans le code de l'environnement, mais la réglementation (exigeant un éloignement de la voie pour replanter) et la multiplication des gestionnaires vont à contresens.

Nées dans les jardins de la Renaissance italienne, les allées d'arbres ont servi la composition des jardins à la française en guidant le regard vers un point d’appel choisi au delà de leur limite. Puis en s'étendant dans la campagne environnante elles ont constitué un maillage du domaine, en symbole du pouvoir. D'abord associées aux châteaux et aux manoirs, elles ont ensuite marqué l'entrée des villes et accompagné leurs fortifications, avant de relier les territoires européens. Au delà de l'impact esthétique des principes géométriques de régularité et de symétrie, leur développement a permis de pallier la pénurie de bois provoquée par les défrichages, d'assécher et de stabiliser les voies et les accotements, d'éviter l'érosion des terres, les pics de ruissellement et la formation des congères... Les allées sont aussi un repère pour les voyageurs par temps de neige, de brouillard ou d’inondation...Enfin elles les ont protégé du vent, du soleil et des poussières, et contribuent aujourd'hui à lutter contre la pollution sur leur parcours.

En pénétrant dans la campagne les alignements cèdent les bordures des routes à des haies composites, comme celles qui dessinaient les parcelles de bocage inconsidérément agrandies au siècle dernier. Ces haies ancestrales sont aujourd'hui regrettées pour leur biodiversité et la prévention des inondations. Elles abritaient aussi du vent les chemins creux maintenus dans leurs racines, sous des branchages riches en baies de toutes sortes. La variété des espèces naturelles était complétée par des plantations d'arbres fourragers, comme le frêne qui permet aux animaux d'élevage de subsister lorsque l'herbe manque. L'impact de leur disparition est d'autant plus visible que la sécheresse se fait sentir : dans les zones steppiques, comme celles des grands Causses, les reliques de ces haies demeurent un refuge pour la faune sauvage, illustrant l'alliance que l'homme peut nouer avec la nature pour la création d'un milieu hospitalier jusque dans les extrémités du climat . Art de vivre au quotidien, le réseau des routes et des chemins arborés, conjugué avec le relief et les voies d'eau,  structure encore les paysages ruraux.

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