Vert, c'est la vie

Ecoute-moi revivre dans ces forêts

Sous les frondaisons de mémoire

Où je passe verte,

Sourire calciné d'anciennes

plantes sur la terre...

Yves Bonnefoy

Vegetale vision

Tellement de teintes et si changeantes dans le vert, des feuillus océaniques aux buissons méditerranéens épineux et coriaces, des tendres feuilles printanières de la hêtraie aux sombres forêts de conifères...C’est sans doute le lien avec la végétation qui a fait pour nous de tous ces coloris une seule catégorie perceptive,  pour laquelle les Grecs anciens n'avaient pas une même dénomination.

Couleur insaisissable

Sublime dans l’émeraude, gaie et franche ou criarde,  tournant tristement au verdâtre ou au vert de gris, cette couleur capricieuse a longtemps tenu en échec qui prétendait la reproduire, et nos logiciels ne font que s’en approcher : instable dans les colorants végétaux du textile, toxique dans des apprêts à l’arsenic qui ont terni sa réputation, dégradée dans les pigments imitant l'inégalable vert Veronèse. Moins dangereuse que le broyage d'un poison violent, son obtention par mélange de bleu et de jaune demeure triviale pour nombre de peintres. Moyenne, complémentaire, secondaire, l'histoire de ses qualificatifs trouve un écho dans son héritage symbolique.

Vert, une lourde charge symbolique

Diversité  et complexité vont avec un luxe de symboles dans l’histoire du vert. Couleur vive, couleur de la vie, du désordre, de l’amour naissant, de l’espérance…les revers et leur déception l’ont renvoyée à son caractère éphémère, instable, inconstant, hasardeux. Elle serait donc mensongère, dangereuse… telle une séductrice, trop voyante, superficielle, voire venimeuse. Au Moyen Age, après avoir coloré un temps l’eau du baptême, elle est devenue peu recommandable, enchanteresse dévoyée de fée en sorcière, liée avec le diable et les dragons. Au  20ième siècle, pour Kandinsky elle est périphérique, inutile, vide, amorphe « comme une grosse vache » ! Et aujourd’hui le tapis vert symbolise encore argent et revers de fortune.

Vert dans le vent

Au terme de ces rebondissements superbement illustrés dans l’ouvrage que lui consacre Michel Pastoureau, la couleur la plus ambivalente prend sa revanche : « Le vert est libre et naturel, prêt à lutter contre tous les artifices, toutes les entraves, tous les autoritarismes…autrefois délaissé, rejeté, mal aimé, le vert est devenu une couleur messianique, il va sauver le monde ». L'avenir du vert passe cependant par la préservation de l'eau dont il est le vivant reflet. Face aux défis écologiques, l'étendard de la nature est convoité par les politiques de tous bords, prêts à s'appuyer sur une démagogie pseudo-participative plutôt que sur la recherche scientifique. Comme les entreprises polluantes, chacun est prêt à se repeindre en vert.


Une pensée normande pour Marguerite si heureuse quand je lui demandai, enfant,  un grand châle vert  de ses mains de tricoteuse: elle me fit un beau sourire, et m’avoua, comme si elle confessait un péché, que c’était aussi sa couleur préférée. A l’école catholique les petites filles chantaient encore les yeux verts iront en enfer, des yeux rares décrétés maléfiques sans doute par jalousie... Bien des années plus tard cette comptine me revint lorsque je croisai dans la montagne du Gévaudan une femme aux yeux fendus de biais qui menait un loup ; des yeux à ensorceler un conte de fées.


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