Le grand champ

 

En occitan le crouzet est un domaine en creux, et c’est ici le nom du hameau caché dans une zone d’effondrement entre la Boulaine, faite de schiste, et le truc calcaire de Chastelvieil, avant–garde des grands Causses.

 

 

A l’écart des routes, ce travers autrefois dénudé par les moutons s’est embroussaillé et boisé de pins tout-venant, peuplé de grives que l’on piégeait à la tendelle, sous une lauze en équilibre.

 

 

Au hameau vivaient le vieux Basile et un couple d’agriculteurs qui comptait moins de dix vaches et encore quelques brebis, autrefois confiées à la garde des enfants. La mère de famille, native de ce lieu où chercher l’eau était encore une corvée parmi d’autres, évoquait le piton de Chastelvieil comme un cadran solaire lui indiquant l’avancée de l’heure quand elle allait garder les moutons dans sa jeunesse.

 

 

Les emplois de la ville ont attiré les enfants, mais l’un deux est resté travailler comme aide familial, avant de se décider à prendre la relève de l’élevage en valorisant les sectionnaux désertés, alors que tant de  territoires de montagne étaient alors complètement délaissés.

 

 

Ainsi, avec Serge, place aux vaches laitières dans un bâtiment neuf équipé d’une salle de traite, au creux du vallon. Depuis cet investissement -en 1980- l’exploitation agricole a prospéré en rapport avec la taille du troupeau. Un de ses frères a rejoint Serge au bout de quelques années, et c’est de leurs mains que fut défrichée hiver après hiver, depuis 1986, la parcelle qui est devenue le grand champ de 11 hectares. Au bruit des engins qui un peu plus loin abattaient facilement un même travail, eux se sont contentés d’un coup de bulldozer pour finir.

 

 

Vu de la Boulaine on dirait un long ruban horizontal, qui s’élargit en s’incurvant devant Chastelvieil. Mais sur le terrain le grand champ penche très fort de part et d’autre de la crête qui dessine sa ligne, jusqu’au bois de pins qui subsiste dans la limite la plus abrupte. Et dans ses aller-retour en longueur, le tracteur tantôt s’incline, tantôt plonge et disparaît momentanément.

 

 

Superbe paysage et mise en valeur exemplaire du territoire par un homme du pays courageux et persévérant, qui après une réorientation dans la filière viande, transmet avec bonheur le fruit de son travail à sa fille, elle aussi passionnée d’élevage.